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Le verre dans la sphère médicale Une utilisation plurielle de l’Antiquité au Moyen Âge Lydie Joan Inrap 1 44 Légende igure 1 ? Une matière aux caractéristiques physiques adaptées aux soins Malgré sa fragilité, le verre se révèle une matière appréciée des divers ateurs de la médecine antique ou médiévale, et ce, en raison de certaines de ces qualités physiques : tranparence, colorisation, neutralité chimique et olfative, capacité optique. La première de ses caratéritiques et la tranparence. Quand le verre et incolore, cette dernière facilite notamment l’observation de liquides tels que l’urine ou le lait. Ainsi, lors de ses diagnotics, Hippocrate (ve siècle avant notre ère) pratique l’examen de la couleur des urines dans un vase dénommé matula (vase de nuit). Ce type d’expertise se répand au Moyen Âge. Ce type de lacon identiiable dans la typologie des verres des xive et xve siècles et largement illutré par de nombreuses igurations médiévales [ill. 2]. Dans son traité sur les maladies des femmes, Soranos d’Ephèse, médecin à Rome, sous Trajan et Hadrien, attete, quant à lui, de l’usage de la tétine artiicielle et de l’importance de l’examen du lait. Frédéric Loridant et Nadine Rouquet envisagent même que l’opacité de la terre cuite, incommode pour ces examens, expliquerait l’expansion du biberon DOSSIER 45 2016 Les sources écrites, l’iconographie et la chimie au secours de l’archéologie ? Des textes antiques et médiévaux évoquent ou sous-entendent l’utilisation du verre en médecine : traités médicaux ou naturalites, inventaires d’oicines… Pour la période antique, on peut citer des écrits de médecins tel Hippocrate, ou encore ceux de naturalites comme Pline l’Ancien (Hitoire naturelle). Bien que les références soient discrètes, elles associent à la médecine des objets en crital ou en verre. Ainsi le meilleur cautère et, pour Pline l’Ancien, une boule de crital recevant les rayons du soleil (Hitoire naturelle, XXXVII, 37, 2). Ce même auteur recommande clairement, dans certaines recettes médicinales, la macération au soleil de certains ingrédients dans des vases de verre (Hitoire naturelle, XXI, 73, 1). À ces textes, on peut confronter l’image. Quelques reliefs antiques illutrent le monde thérapeutique. Mais il et souvent diicile de déterminer la matière même des objets ou des récipients représentés. Si le symbole du médecin dans l’iconographie antique et la ventouse, comment déterminer s’il s’agit de modèles en bronze ou en verre ? Les deux matières ont, en efet, été utilisées pour la fabrication de ces objets. Parfois, c’et l’interprétation même de la scène qui et sujette à discussion. Ainsi, la représentation de bouteille ou de ballon en verre et parfois envisagée sur la tèle dite de Meditrina, déesse des médecins et des remèdes (Grand, Vosges, iie siècle) [ill. 1]. Or la divinité représentée peut aussi être interprétée comme une Abondance dipensant ses bienfaits à d’autres artisanats comme la savonnerie, la verrerie ou encore la teinturerie… C’et en fait à la période médiévale que le verre et formellement identiiable dans les scènes aux thèmes thérapeutiques illutrées dans les enluminures, les peintures et les vitraux. À cette époque, le médecin et souvent représenté un lacon de verre à la main. Il s’agit de la matula, récipient detiné à l’uroscopie, aux formes et proportions variées (Moulinier-Brogi, 2012). Elle devient l’emblème de saint Côme, patron des médecins alors que le pot à onguent, souvent en bois ou en os, et celui de saint Damien, patron des pharmaciens. Toutefois, chez ces derniers, les archives, tels les inventaires d’oicine, conirment bien une large utilisation des bouteilles et des lacons dans les pharmacies de la in du Moyen Âge. Enin, les analyses chimiques des résidus organiques permettent de nous intruire sur les contenus de certains récipients en verre. Depuis les années 1990, plusieurs équipes composées de chimites et d’archéobotanites se sont pécialisées dans l’identiication des marqueurs chimiques des matériaux biologiques dégradés (Garnier, 2012). Les données archéométriques aident ainsi à retrouver certains composants entrant dans les recettes de remèdes. Comme la pharmacopée ancienne et bien connue au travers de nombreux textes antiques – notamment ceux de héophrate, Celse, Pline l’Ancien (Recherches sur les plantes ; Traité de médecine de A.C. Celse ; Hitoire naturelle) – ou de manuscrits médiévaux (Antidotarium Magnum…), l’identiication de récipients en verre utilisés dans le monde médical devient alors possible. Mais l’exercice demeure toutefois périlleux pour l’Antiquité, car les principes atifs des parfums, baumes et onguents avaient une valeur cosmétique aussi bien que thérapeutique. ARCHÉOPAGES 43 La fragilité de cette matière et son recyclage, pratiqué dès l’Antiquité, font que de nombreux objets ont à jamais diparu, brisés et/ou refondus. Ceux qui parviennent jusqu’aux mains des archéologues sont issus de contextes funéraires ou dometiques. Or ces environnements ne mettent que rarement en lumière le lien potentiel de ces verreries avec la phère médicale. Face à la variété typologique des balsamaires, des ioles, des lacons et autres bouteilles en verre, l’archéologue et aussi fort démuni. En efet, en l’absence d’étiquettes au titre évocateur, comment déterminer les contenus de ces récipients et ainsi identiier ceux ayant trait aux soins ? Seul, le récipient ne peut donc retituer, dans une jute mesure, l’emploi de cette matière dans le domaine thérapeutique. Face à ces limites, sources écrites, iconographie et chimie permettent cependant d’appréhender les rapports entre ce matériau et cette discipline, corrélation conirmée par quelques découvertes archéologiques exceptionnelles. 2. Dessins des formes d’urinaux, V. Merle (Inrap) d’après les trois documents suivants : a. enluminure extraite de l’ouvrage « Des propriétés des choses » de Barthélemy l’Anglais, Le Mans, France, 15e siècle ; b. miniature extraite du « Recueil des Traités de médecine » de Gérard de Crémone, 1250-1260 (Al-Razi tenant une matula) ; c. enluminure extraite de l’ouvrage les « Grandes heures d’Anne de Bretagne », 16e siècle (Saint Côme et Saint Damien). 2. a 46 2 2. b 1 2. c . La plus ancienne lentille, dite de Nimrud, et en crital de roche. Découverte à Kalkhu, elle date du viiie siècle avant notre ère. Sa fontion exate demeure inconnue. DOSSIER 47 L’Antiquité romaine, entre médecine, cosmétologie et magie La frontière entre remède et parfum et assez loue à l’époque antique. En efet, une valeur thérapeutique et attribuée aux principes atifs des cosmétiques que sont les parfums, onguents et baumes. Ainsi, le suc extrait des pétales de roses et, par exemple, reconnu pour ses propriétés atringentes et rafraichissantes (Pline, Hitoire naturelle, XXI, 73). Une huile parfumée à la rose pouvait alors avoir une dimension pharmaceutique aussi bien que cosmétique. La frontière et si ténue que le terme latin d’unguentarii (récipients à parfum), réservé à l’origine aux parfumeurs, s’et étendu, au il du temps, aux fabricants de médicaments. Outre l’unguentarium, plusieurs termes antiques font référence à des récipients à parfum comme ampulla (petit vase fermé ou iole à panse globulaire ou lenticulaire, pourvue d’un col étroit et allongé) ou encore guttus (vase calibré pour un écoulement goutte à goutte). Enin, un terme moderne a été aussi inventé pour qualiier ces récipients : le balsamaire. Dans l’acception moderne, l’unguentarium fait référence à un contenant pour onguent (pommade à base de résine, corps gras) alors que le balsamaire implique la présence d’un baume (préparation aromatique ne contenant pas de résine et possédant un efet sédatif sur la douleur). Mais, en l’absence d’identiication du contenu, et face à la typologie variée des lacons découverts en contextes funéraire, dometique ou thermal, le pécialite du verre peut rarement trancher. En Gaule romaine, outre les balsamaires et autres unguentarii, pour compléter la lite des récipients en verre voués aux cosmétiques, on peut aussi citer l’aryballe, l’amphorisque, les lacons plats, cylindriques, phériques ou à panse bulbeuse, ou en grappe, et certains petits pots qu’ils soient piriformes, à 2016 premiers exemplaires (ixe siècle) sont en pierre semi-précieuse comme le crital de roche, il faudra attendre une meilleure qualité du verre qui présente encore trop de bulles et d’impuretés pour être employé à cette in. C’et au xiiie siècle que le verre va être utilisé pour les loupes et surtout les premières lunettes. On peut ainsi se référer aux représentations de lunettes (les bésicles) sur une fresque de Tommaso de Modena (1352) ou un tableau de Conrad Von Soet (1404). De manière plus anecdotique, le caratère incisif du verre le fait apparaître dans une recette de « dentifrice » igurant dans les Compositiones de Scribonius Largus (Scribonii largi compositiones, 60). Ainsi son dentifrice de Messaline « qui rend les dents blanches et qu’utilise Messaline, femme de notre divin César » et composé de poudre de roses séchées au soleil mélangées avec du verre blanc pilé. La présence de verre pulvérisé associé à des sangsues et aussi signalée dans une recette médiévale pour les soins du corps (Moulinier-Brogi, 2004). ARCHÉOPAGES 43 de verre dès le iie siècle en Gaule pour devenir quasi-exclusif aux ive et ve siècles (Rouquet, Loridant, 2000, p. 428-431). A contrario, quand il n’et pas incolore, le verre et apprécié pour sa large gamme de couleurs ; il peut se subtituer symboliquement à certaines pierres, parées de vertus guérisseuses ou préventives durant l’Antiquité. Ainsi, des intailles en pâte de verre rouge sont utilisées à la place de la cornaline ou du jape dont le pouvoir présumé était de réguler les lux sanguins et de topper les hémorragies. Les propriétés de ces pierres précieuses ou verroteries étaient souvent renforcées par la représentation gravée de divinités comme Hercule. De telles amulettes ou gemmes en verre coloré ont continué d’être en usage au Moyen Âge (Cannella, 2006). La troisième propriété du verre et sa neutralité chimique, idéale pour la préparation des médicaments et des cosmétiques ou la conservation longue de liquides aux vertus médicinales : collyre, onguents, baume… Pline l’Ancien recommande clairement, dans son Hitoire naturelle, de conserver dans des vases de verre l’urine de sanglier qu’il vante dans le traitement des douleurs d’oreilles (Hitoire naturelle, XXVIII, 48, 1). Au-delà de la conservation, les alchimites égyptiens Bolos de Mendes (iie siècle avant notre ère) et Marie la Juive (vers le ier siècle de notre ère) reconnaissent les qualités du verre pour manipuler des subtances très corrosives comme le mercure. Marie la Juive et ainsi à l’origine d’une invention qui, au cours des siècles suivants, va devenir l’un des intruments les plus courants dans les laboratoires de chimie : le trilikos, un alambic detiné à la ditillation relié par des tubes à trois récipients en verre. Il et fort probable que ce type d’alambic a aussi été utilisé pour la ditillation de plantes pour la confetion de recettes médicinales. Inodore, le verre permet de conserver, sans les altérer, les senteurs considérées comme thérapeutiques dès l’époque antique. Si le procédé utilisé dans l’Antiquité et la macération des plantes, la ditillation inventée au Moyen Âge va être à l’origine de la difusion des huiles essentielles. Enin, au Moyen Âge, la capacité de ce matériau à grossir a permis le développement des verres de vue. Dès Aritote, les principaux défauts de la vue deviennent un sujet de rélexion, non seulement chez les médecins, mais aussi chez les philosophes et les physiciens. Au ier siècle, Sénèque contate ainsi qu’un objet observé à travers un ballon de verre rempli d’eau apparaît plus gros. Pline l’Ancien rapporte que Néron regardait les combats de gladiateurs à travers une émeraude, qui peut être interprétée comme une lentille de vue (Hitoire naturelle, XXVII, 16, 2). Si un exemplaire de lentille grossissante date du ier siècle (Beretta, Di Pasquale, 2006)¹, c’et au Moyen Âge que se répand la pierre de leture, loupe grossissante posée sur les écrits. Si les 3. a 3. b 48 3. c 3. Les lacons – période romaine. a. À partir de la 1ère moitié du 1er siècle. b. À partir de la 2e moitié du 1er siècle. c. À partir du 2e siècle. 4. les lacons période médiévale. a. Mérovingien, période I (400-550). b. Mérovingien, période II (550-700). c. Du 11e au 13e siècle. d. 14e siècle. e. 14e et 15e siècles. 4. a 4. b 4. e 4. c 4. d . Nad et traduit par l’auteur par gourde. Le Moyen Âge, entre médecine, religion et alchimie Au cours du Moyen Âge, les médecins occidentaux vont parfaire les connaissances médicales héritées de l’Antiquité, soit par des expérimentations qui leur sont propres, soit par des contats avec le monde arabe. Jusqu’aux xe-xiie siècles, la médecine et alors essentiellement conventuelle car pratiquée par diférents ateurs de la religion chrétienne. Une médecine laïque sérieuse se développe ensuite avec l’apparition des universités de médecine (xiie xiiie siècle). L’évolution de cette discipline peut être illutrée, dans une certaine mesure, par la transformation ou la création de certains objets en verre. Toutefois cette vision n’et que partielle. En efet, atuellement, les fouilles DOSSIER 49 2016 qu’en refroidissant, par sa contration, se produise un puissant efet de succion. Selon la théorie d’Hippocrate, cette « révulsion » permettait aussi de rétablir l’équilibre entre les humeurs (le sang, la bile, la lymphe et l’atrabile) attirées sous la surface de la peau lorsqu’elles sont en excès. Un exemplaire de ventouse en verre et conservé au musée du Louvre (Iran, ier-iie siècle). En Gaule, ce sont surtout des modèles en bronze qui nous sont parvenus (Martigny, Suisse ; nécropole de Saint-Marcel à Paris). Enin, en ce qui concerne les biberons, vases à becs tubulaires, qu’ils soient en céramique ou en verre, ils soulèvent encore des interrogations dans la communauté scientiique, d’autant qu’ils sont présents dans un certain nombre de tombes d’adultes. Certains chercheurs y voient aussi un tire-lait (Rouquet, Loridant, 2003) ou une tasse à malade (Dubois, 2012, p. 337 ; Jaeggi, Wittmann, Garnier, 2015, p. 572). Des analyses ont montré, à plusieurs reprises, la présence de traces de produits laitiers, mais aussi de vin, de miel, etc., et ce, dans un même vase (Jaeggi, Wittmann, Garnier, 2015). Or ces ingrédients entrent dans de nombreuses recettes médicinales. Les analyses ne permettent donc pas de trancher sur la quetion de la fontion de ces objets. Fontion sûrement multiple puisque Caelius Aurelianus (médecin du ve siècle) évoque, dans un traité de médecine, l’utilisation de ces « biberons » pour adminitrer une boisson à un malade (Jaeggi, Wittmann, Garnier, 2015, p. 572). Comme l’a souligné Céline Dubois (Dubois, 2012, p. 337), le bombylios, utilisé pour donner à boire au malade, dans la civilisation grecque, et décrit, dans le corpus hippocratique (Hippocrate, Maladies, III, 16), comme un vase à goulot étroit, pourrait bien correpondre aussi à un biberon. Quoi qu’il en soit, l’utilisation de biberon en verre se prolongerait au-delà de l’époque antique puisqu’un traité de gynécologie du xiiie siècle, Les Infortunes de Dinah, conseille de faire boire l’enfant sevré dans un récipient de verre en forme de téton que l’on appelle nad (Barkai, 1991, p. 157)². ARCHÉOPAGES 43 dépressions, ou à onguents et dont la typologie lutue selon les siècles [ill. 3]. Des quatre tombes de médecins identiiées découvertes en Gaule romaine (Musée du Puy ; Musée Carnavalet, Paris ; Musée d’Archéologie Nationale, Saint-Germain-en-Laye), c’est celle de Saint-Médard-des-Prés en Vendée qui nous éclaire sur la part de ces lacons en verre dans la phère médicale. En efet, cette tombe d’un oculite aurait livré pas moins de 80 vases en verre dont 28 sont encore conservés au musée de Fontenay-le-Comte (Santrot, Corson, 2012). Outre des pots globulaires ou carrés, des bouteilles hexagonales, carrées ou cylindriques, 33 balsamaires ont été recensés. Des analyses anciennes et récentes ont permis de démontrer la présence, dans certains de ces contenants, de cires, d’huiles ou d’onguents. Toute cette gamme de lacons était donc utilisée par les médecins (medici) mais aussi par d’autres corps de métiers plus ou moins rigoureux, à la fois guérisseurs, herborites, apothicaires, droguites (pharmacopola), fabricants d’onguents, débitants de poudres et parfumeurs (seplasiarii). Car, outre les vertus médicinales des plantes, Pline, dans son Hitoire Naturelle, souligne leurs propriétés magiques. Ainsi, ces lacons pouvaient aussi contenir des mélanges plus magiques que curatifs comme des philtres ou encore des onguents apotropaïques. Parallèlement, parmi les récipients appartenant au domaine de la toilette, il faut évoquer aussi l’agitateur, bâtonnet lisse ou torsadé qui servait à étaler, écraser et mélanger les produits cosmétiques. Plus exceptionnels sont les trigiles miniatures en verre. En 2003, à Nîmes (Gard), une tombe interprétée comme celle d’un guérisseur (Manniez, 2005) datée de la in du ier siècle de notre ère a livré des vases en céramique et en verre, des coquillages et des petits objets en os, bronze, verre et crital de roche. Parmi l’intrumentum, se trouvaient deux petits trigiles en verre bleu clair (L. : 84 et 85,5 mm). Par leur taille, ces objets pouvaient servir à appliquer ou à retirer en douceur les préparations sur des parties lésées d’un corps ou à ditiller des gouttes dans l’oreille comme le recommande Celse, médecin du ier siècle (Traité de médecine, VI, 7, 1). Cette dernière utilisation expliquerait l’extrémité bouletée qui difère de ceux en métal, sans doute detinée à ne pas blesser le conduit de l’oreille. Ces trigiles étaient accompagnés de talismans, amulette en crital de roche, porcelaine provenant de la mer Rouge et d’une ibule à tête de Méduse dont la valeur apotropaïque permettait de se protéger contre les mauvais sorts, voire de la maladie. Atuellement, le seul objet en verre que l’on relie, sans équivoque, au monde de la médecine, et la ventouse (cucurbita), ce récipient en forme de cloche detiné à soigner en induisant une « révulsion » par efet de succion sur la peau. Pour ce faire, on chaufait la ventouse puis on l’appliquait sur la zone à traiter, de manière à ce 50 . Si matula, à l’époque antique, signiie le pot de chambre, le récipient en verre sert à recueillir l’urine des patients alités (urinal). archéologiques en contexte médiéval demeurent encore très exceptionnelles pour la phère médicale (léproserie, apothicairerie…). En ce qui concerne l’héritage antique, si la ventouse en verre perdure, c’et désormais la matula³ qui devient l’emblème du médecin. Pour ce récipient detiné à l’examen des urines, les formes sont variées si l’on en juge par les diférentes représentations sur enluminure. Dans la typologie atuelle des verres du nord de la France des xive et xve siècles, il prend la forme d’un vase ovoïde à fond bombé à large ouverture, forme proche des vases à pharmacie et des ballons de ditillerie. Ce sont alors les proportions et l’extrême inesse de la paroi et donc une tranparence parfaite qui permettent de le caratériser (Foy, Sennequier, 1989, p. 329-330). Ce type de récipient ne se limite pourtant pas à la fontion d’urinal si l’on en croit les médecins Avicenne ou Jacques Depars qui suggèrent d’utiliser un vase comme l’urinal pour manipuler divers ingrédients de recettes médicinales (Jacquart, 1998). Quant à la typologie des verres médiévaux atuellement proposée par les archéologues, comparée à celle des verres antiques, on contate une nette rédution dans la diversité du laconnage [ill. 4]. De même, on voit diparaître de la terminologie l’unguentarium et le balsamarius. Ces phénomènes semblent retranscrire un ralentissement des parfums et autres onguents avec l’expansion du chritianisme. Toutefois, parfum et guérison continuent à être associés, mais dans le cadre de la religion chrétienne. Une des saintes huiles (oleum inirmorum) servait ainsi à l’ontion des inirmes et des malades. Le lien entre Église et médecine et aussi illutré par un nouveau récipient : l’ampoule de pèlerinage permettant aux pèlerins, depuis la in de l’Antiquité, de tranporter huiles saintes, eaux bénites ou encore miraculeuses. Atuellement, les rares exemplaires en verre, en France, concernent uniquement le littoral méditerranéen et datent au plus tard du ve siècle (Foy, 2010). Pour le Moyen Âge, ce sont essentiellement des gourdes aplaties en céramique ou en métal qui nous sont parvenues. Toutefois, il et à noter que des ampoules de pèlerinage, en verre, non datées (médiévales ou modernes) du Musée des antiquités de Rouen ont été étudiées par Jorge Barrera (Barrera, 1990). De même, un atelier de petits lacons en verre utilisés pour recueillir le myron de la tombe de saint Démétrios en verre du xve siècle a été fouillé à hessalonique en Grèce (Loverdou-Tsigarida, 2003, p. 245). Enin, les verreries aux fontions liturgiques, burettes, bouteilles à long col décorées à l’émail de Syrie (musée du Louvre) ou encore iolesreliquaires telle celle de sainte Catherine (Palerme, dans le trésor de la chapelle palatine, palais des Normands), datées des xiie-xiiie siècle, ont pu être aussi utilisées dans un cadre de rituels religieux aux ins thérapeutiques. Si les petits lacons sont moins diversiiés qu’à l’époque antique, le verre et tout de même présent dans les scènes illutrant les médecins et les apothicaires (par exemple, un vitrail de la vie de Saint Nicolas, cathédrale de Chartres ; dessin d’une apothicairerie dans le traité de chirurgie de Roger de Salerne). Cette iconographie met en avant, désormais, les grandes ioles (bouteille au long col étroit), un verre probablement doseur et les bocaux. Si on compare la typologie du verre médiéval dometique avec cette iconographie médicale, certaines formes sont très similaires, ce qui nuancerait l’hypothèse de récipients en verre à fontion uniquement médicinale pour le Moyen Âge. Deux objets, enin, inconnus des artefats antiques, illutrent deux des innovations de la médecine médiévale : les débuts de l’optique et la ditillation. Si les problèmes de vue furent évoqués dans l’Antiquité par Aritote dans le problemata, en particulier la myopie et la presbytie, l’invention des lunettes fut bien plus longue à venir. Les premières bésicles apparaissent dans le milieu monatique, au xiiie siècle, ain que les moines puissent voir de près et recopier les manuscrits sacrés. La ditillation, invention arabe du viiie siècle, et introduite en Occident, avec l’alchimie au xiie siècle. Elle nécessite l’utilisation d’un alambic si cette ditillation se fait par élévation des vapeurs. Cet appareil et décrit dans des textes alchimiques mais aussi des traités médiévaux de médecine. Il sert surtout à la fabrication de l’eau de rose et de l’alcool utilisés majoritairement par les médecins et les apothicaires. De nombreuses fouilles dans des contextes dometiques datés du xiie au xviie siècle ont livré ce type d’objets (noyaux de découvertes en Alsace, Franche-Comté et Angleterre) dont les modèles en verre les plus anciens datent de la in du xive siècle (homas, 2009). L’archéologie montre donc que ces objets sont plutôt à associer à une ditillation dans un contexte familial, dans des milieux plutôt privilégiés, riches et cultivés. Si son usage médical (homas, 2009) n’et pas assuré, il ne peut être écarté pour ceux ayant accès aux écrits et donc à la difusion des recettes d’apothicaire. Au terme de cette présentation, une typologie du verre exclusivement voué à la phère médicale s’avère impossible. À l’époque antique, ce fait s’explique par une discipline aux limites loues, où s’entremêlent cosmétologie, croyance, magie, religion et médecine. Aussi de nombreux récipients sont-ils utilisés inditintement dans diférents domaines. Là, seul le contexte, les associations d’objets et les analyses chimiques peuvent nous éclairer quant à leur lien avec le monde de la médecine. À l’époque médiévale, la diiculté d’identiication persite. La découverte d’objets voués uniquement au monde médical Références bibliographiques Barkaï R. (éd.), 1991, Les infortunes de Dinah, le livre de la génération, la gynécologie juive au Moyen Âge, Paris, Éditions du Cerf, 300 p. Cannella A.-F., 2006, Gemmes, verre coloré, fausses pierres précieuses au Moyen Âge : le quatrìme livre du Trésorier de philosophie naturelle des pierres précieuses de Jean d’Outremeuse, Genève, Droz, 475 p. Celse, Traité de médecine de A. C. Celse, tradution nouvelle, avec texte latin…, A. Védrènes (éd.), Paris, Masson, 1876, 797 p. Pline l’Ancien, Hitoire naturelle, Livre XXI, Livre XXVIII, Livre XXXVII, J. André, A. Ermout, E. de SaintDenis (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 2003 (Colletion des universités de France. Série latine, 170, 192, 206). 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Elle permettra alors de progresser dans la connaissance de la médecine à l’intar des travaux de Jean-Pierre Brun et Nicolas Garnier sur les parfums dans l’Antiquité.