Le verre dans la sphère médicale
Une utilisation plurielle de l’Antiquité
au Moyen Âge
Lydie Joan Inrap
1
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Légende igure 1 ?
Une matière aux caractéristiques physiques
adaptées aux soins
Malgré sa fragilité, le verre se révèle une matière
appréciée des divers ateurs de la médecine
antique ou médiévale, et ce, en raison de certaines
de ces qualités physiques : tranparence,
colorisation, neutralité chimique et olfative,
capacité optique.
La première de ses caratéritiques et la
tranparence. Quand le verre et incolore, cette
dernière facilite notamment l’observation de
liquides tels que l’urine ou le lait. Ainsi, lors de ses
diagnotics, Hippocrate (ve siècle avant notre ère)
pratique l’examen de la couleur des urines dans un
vase dénommé matula (vase de nuit). Ce type
d’expertise se répand au Moyen Âge. Ce type de
lacon identiiable dans la typologie des verres des
xive et xve siècles et largement illutré par de
nombreuses igurations médiévales [ill. 2]. Dans
son traité sur les maladies des femmes, Soranos
d’Ephèse, médecin à Rome, sous Trajan et Hadrien,
attete, quant à lui, de l’usage de la tétine artiicielle
et de l’importance de l’examen du lait. Frédéric
Loridant et Nadine Rouquet envisagent même
que l’opacité de la terre cuite, incommode pour
ces examens, expliquerait l’expansion du biberon
DOSSIER
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2016
Les sources écrites, l’iconographie et la chimie
au secours de l’archéologie ?
Des textes antiques et médiévaux évoquent ou
sous-entendent l’utilisation du verre en médecine :
traités médicaux ou naturalites, inventaires
d’oicines… Pour la période antique, on peut citer
des écrits de médecins tel Hippocrate, ou encore
ceux de naturalites comme Pline l’Ancien
(Hitoire naturelle). Bien que les références soient
discrètes, elles associent à la médecine des objets
en crital ou en verre. Ainsi le meilleur cautère et,
pour Pline l’Ancien, une boule de crital recevant
les rayons du soleil (Hitoire naturelle, XXXVII,
37, 2). Ce même auteur recommande clairement,
dans certaines recettes médicinales, la macération
au soleil de certains ingrédients dans des vases
de verre (Hitoire naturelle, XXI, 73, 1).
À ces textes, on peut confronter l’image.
Quelques reliefs antiques illutrent le monde
thérapeutique. Mais il et souvent diicile
de déterminer la matière même des objets ou
des récipients représentés. Si le symbole du
médecin dans l’iconographie antique et la
ventouse, comment déterminer s’il s’agit de
modèles en bronze ou en verre ? Les deux matières
ont, en efet, été utilisées pour la fabrication de ces
objets. Parfois, c’et l’interprétation même de la
scène qui et sujette à discussion. Ainsi, la
représentation de bouteille ou de ballon en verre
et parfois envisagée sur la tèle dite de Meditrina,
déesse des médecins et des remèdes (Grand,
Vosges, iie siècle) [ill. 1]. Or la divinité représentée
peut aussi être interprétée comme une Abondance
dipensant ses bienfaits à d’autres artisanats
comme la savonnerie, la verrerie ou encore la
teinturerie…
C’et en fait à la période médiévale que le verre
et formellement identiiable dans les scènes
aux thèmes thérapeutiques illutrées dans les
enluminures, les peintures et les vitraux. À cette
époque, le médecin et souvent représenté un
lacon de verre à la main. Il s’agit de la matula,
récipient detiné à l’uroscopie, aux formes et
proportions variées (Moulinier-Brogi, 2012).
Elle devient l’emblème de saint Côme, patron
des médecins alors que le pot à onguent, souvent
en bois ou en os, et celui de saint Damien, patron
des pharmaciens. Toutefois, chez ces derniers,
les archives, tels les inventaires d’oicine,
conirment bien une large utilisation des bouteilles
et des lacons dans les pharmacies de la in
du Moyen Âge.
Enin, les analyses chimiques des résidus
organiques permettent de nous intruire sur les
contenus de certains récipients en verre. Depuis
les années 1990, plusieurs équipes composées de
chimites et d’archéobotanites se sont pécialisées
dans l’identiication des marqueurs chimiques des
matériaux biologiques dégradés (Garnier, 2012).
Les données archéométriques aident ainsi à
retrouver certains composants entrant dans les
recettes de remèdes. Comme la pharmacopée
ancienne et bien connue au travers de nombreux
textes antiques – notamment ceux de héophrate,
Celse, Pline l’Ancien (Recherches sur les plantes ;
Traité de médecine de A.C. Celse ; Hitoire
naturelle) – ou de manuscrits médiévaux
(Antidotarium Magnum…), l’identiication de
récipients en verre utilisés dans le monde médical
devient alors possible. Mais l’exercice demeure
toutefois périlleux pour l’Antiquité, car les
principes atifs des parfums, baumes et onguents
avaient une valeur cosmétique aussi bien que
thérapeutique.
ARCHÉOPAGES 43
La fragilité de cette matière et son recyclage,
pratiqué dès l’Antiquité, font que de nombreux
objets ont à jamais diparu, brisés et/ou refondus.
Ceux qui parviennent jusqu’aux mains des
archéologues sont issus de contextes funéraires ou
dometiques. Or ces environnements ne mettent
que rarement en lumière le lien potentiel de ces
verreries avec la phère médicale.
Face à la variété typologique des balsamaires,
des ioles, des lacons et autres bouteilles en verre,
l’archéologue et aussi fort démuni. En efet, en
l’absence d’étiquettes au titre évocateur, comment
déterminer les contenus de ces récipients et ainsi
identiier ceux ayant trait aux soins ? Seul, le
récipient ne peut donc retituer, dans une jute
mesure, l’emploi de cette matière dans le domaine
thérapeutique. Face à ces limites, sources écrites,
iconographie et chimie permettent cependant
d’appréhender les rapports entre ce matériau
et cette discipline, corrélation conirmée
par quelques découvertes archéologiques
exceptionnelles.
2. Dessins des formes
d’urinaux, V. Merle (Inrap)
d’après les trois documents
suivants :
a. enluminure extraite de
l’ouvrage « Des propriétés
des choses » de Barthélemy
l’Anglais, Le Mans, France,
15e siècle ;
b. miniature extraite
du « Recueil des Traités
de médecine » de Gérard
de Crémone, 1250-1260
(Al-Razi tenant une matula) ;
c. enluminure extraite de
l’ouvrage les « Grandes
heures d’Anne de Bretagne »,
16e siècle (Saint Côme et
Saint Damien).
2. a
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2
2. b
1
2. c
. La plus ancienne
lentille, dite de Nimrud,
et en crital de roche.
Découverte à Kalkhu,
elle date du viiie siècle
avant notre ère. Sa
fontion exate demeure
inconnue.
DOSSIER
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L’Antiquité romaine, entre médecine,
cosmétologie et magie
La frontière entre remède et parfum et assez
loue à l’époque antique. En efet, une valeur
thérapeutique et attribuée aux principes atifs des
cosmétiques que sont les parfums, onguents et
baumes. Ainsi, le suc extrait des pétales de roses
et, par exemple, reconnu pour ses propriétés
atringentes et rafraichissantes (Pline, Hitoire
naturelle, XXI, 73). Une huile parfumée à la rose
pouvait alors avoir une dimension pharmaceutique
aussi bien que cosmétique. La frontière et si ténue
que le terme latin d’unguentarii (récipients à
parfum), réservé à l’origine aux parfumeurs, s’et
étendu, au il du temps, aux fabricants de
médicaments. Outre l’unguentarium, plusieurs
termes antiques font référence à des récipients à
parfum comme ampulla (petit vase fermé ou iole
à panse globulaire ou lenticulaire, pourvue d’un col
étroit et allongé) ou encore guttus (vase calibré
pour un écoulement goutte à goutte). Enin, un
terme moderne a été aussi inventé pour
qualiier ces récipients : le balsamaire. Dans
l’acception moderne, l’unguentarium fait référence
à un contenant pour onguent (pommade à base de
résine, corps gras) alors que le balsamaire implique
la présence d’un baume (préparation aromatique
ne contenant pas de résine et possédant un efet
sédatif sur la douleur). Mais, en l’absence
d’identiication du contenu, et face à la typologie
variée des lacons découverts en contextes
funéraire, dometique ou thermal, le pécialite du
verre peut rarement trancher. En Gaule romaine,
outre les balsamaires et autres unguentarii, pour
compléter la lite des récipients en verre voués aux
cosmétiques, on peut aussi citer l’aryballe,
l’amphorisque, les lacons plats, cylindriques,
phériques ou à panse bulbeuse, ou en grappe, et
certains petits pots qu’ils soient piriformes, à
2016
premiers exemplaires (ixe siècle) sont en pierre
semi-précieuse comme le crital de roche, il faudra
attendre une meilleure qualité du verre qui
présente encore trop de bulles et d’impuretés pour
être employé à cette in. C’et au xiiie siècle que
le verre va être utilisé pour les loupes et surtout
les premières lunettes. On peut ainsi se référer aux
représentations de lunettes (les bésicles) sur
une fresque de Tommaso de Modena (1352) ou un
tableau de Conrad Von Soet (1404).
De manière plus anecdotique, le caratère
incisif du verre le fait apparaître dans une recette
de « dentifrice » igurant dans les Compositiones
de Scribonius Largus (Scribonii largi
compositiones, 60). Ainsi son dentifrice de
Messaline « qui rend les dents blanches et qu’utilise
Messaline, femme de notre divin César » et
composé de poudre de roses séchées au soleil
mélangées avec du verre blanc pilé. La présence de
verre pulvérisé associé à des sangsues et aussi
signalée dans une recette médiévale pour les soins
du corps (Moulinier-Brogi, 2004).
ARCHÉOPAGES 43
de verre dès le iie siècle en Gaule pour devenir
quasi-exclusif aux ive et ve siècles (Rouquet,
Loridant, 2000, p. 428-431).
A contrario, quand il n’et pas incolore, le verre
et apprécié pour sa large gamme de couleurs ;
il peut se subtituer symboliquement à certaines
pierres, parées de vertus guérisseuses ou
préventives durant l’Antiquité. Ainsi, des intailles
en pâte de verre rouge sont utilisées à la place
de la cornaline ou du jape dont le pouvoir
présumé était de réguler les lux sanguins et de
topper les hémorragies. Les propriétés de ces
pierres précieuses ou verroteries étaient souvent
renforcées par la représentation gravée de divinités
comme Hercule. De telles amulettes ou gemmes
en verre coloré ont continué d’être en usage au
Moyen Âge (Cannella, 2006).
La troisième propriété du verre et sa
neutralité chimique, idéale pour la préparation
des médicaments et des cosmétiques ou la
conservation longue de liquides aux vertus
médicinales : collyre, onguents, baume… Pline
l’Ancien recommande clairement, dans son
Hitoire naturelle, de conserver dans des vases
de verre l’urine de sanglier qu’il vante dans
le traitement des douleurs d’oreilles (Hitoire
naturelle, XXVIII, 48, 1). Au-delà de la
conservation, les alchimites égyptiens Bolos de
Mendes (iie siècle avant notre ère) et Marie la Juive
(vers le ier siècle de notre ère) reconnaissent les
qualités du verre pour manipuler des subtances
très corrosives comme le mercure. Marie la Juive
et ainsi à l’origine d’une invention qui, au cours
des siècles suivants, va devenir l’un des
intruments les plus courants dans les laboratoires
de chimie : le trilikos, un alambic detiné à la
ditillation relié par des tubes à trois récipients
en verre. Il et fort probable que ce type d’alambic
a aussi été utilisé pour la ditillation de plantes
pour la confetion de recettes médicinales.
Inodore, le verre permet de conserver, sans
les altérer, les senteurs considérées comme
thérapeutiques dès l’époque antique. Si le procédé
utilisé dans l’Antiquité et la macération des
plantes, la ditillation inventée au Moyen Âge va
être à l’origine de la difusion des huiles essentielles.
Enin, au Moyen Âge, la capacité de ce matériau
à grossir a permis le développement des verres
de vue. Dès Aritote, les principaux défauts de
la vue deviennent un sujet de rélexion, non
seulement chez les médecins, mais aussi chez les
philosophes et les physiciens. Au ier siècle,
Sénèque contate ainsi qu’un objet observé à
travers un ballon de verre rempli d’eau apparaît
plus gros. Pline l’Ancien rapporte que Néron
regardait les combats de gladiateurs à travers une
émeraude, qui peut être interprétée comme une
lentille de vue (Hitoire naturelle, XXVII, 16, 2).
Si un exemplaire de lentille grossissante date
du ier siècle (Beretta, Di Pasquale, 2006)¹, c’et
au Moyen Âge que se répand la pierre de leture,
loupe grossissante posée sur les écrits. Si les
3. a
3. b
48
3. c
3. Les lacons –
période romaine.
a. À partir de la
1ère moitié du 1er siècle.
b. À partir de la
2e moitié du 1er siècle.
c. À partir du 2e siècle.
4. les lacons période médiévale.
a. Mérovingien,
période I (400-550).
b. Mérovingien,
période II (550-700).
c. Du 11e au 13e siècle.
d. 14e siècle.
e. 14e et 15e siècles.
4. a
4. b
4. e
4. c
4. d
. Nad et traduit par
l’auteur par gourde.
Le Moyen Âge, entre médecine, religion
et alchimie
Au cours du Moyen Âge, les médecins
occidentaux vont parfaire les connaissances
médicales héritées de l’Antiquité, soit par
des expérimentations qui leur sont propres,
soit par des contats avec le monde arabe.
Jusqu’aux xe-xiie siècles, la médecine et alors
essentiellement conventuelle car pratiquée par
diférents ateurs de la religion chrétienne.
Une médecine laïque sérieuse se développe ensuite
avec l’apparition des universités de médecine
(xiie xiiie siècle). L’évolution de cette discipline
peut être illutrée, dans une certaine mesure,
par la transformation ou la création de certains
objets en verre. Toutefois cette vision n’et que
partielle. En efet, atuellement, les fouilles
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2016
qu’en refroidissant, par sa contration, se produise
un puissant efet de succion. Selon la théorie
d’Hippocrate, cette « révulsion » permettait aussi
de rétablir l’équilibre entre les humeurs (le sang,
la bile, la lymphe et l’atrabile) attirées sous
la surface de la peau lorsqu’elles sont en excès.
Un exemplaire de ventouse en verre et conservé
au musée du Louvre (Iran, ier-iie siècle). En Gaule,
ce sont surtout des modèles en bronze qui nous
sont parvenus (Martigny, Suisse ; nécropole de
Saint-Marcel à Paris).
Enin, en ce qui concerne les biberons, vases
à becs tubulaires, qu’ils soient en céramique ou en
verre, ils soulèvent encore des interrogations dans
la communauté scientiique, d’autant qu’ils sont
présents dans un certain nombre de tombes
d’adultes. Certains chercheurs y voient aussi un
tire-lait (Rouquet, Loridant, 2003) ou une tasse
à malade (Dubois, 2012, p. 337 ; Jaeggi, Wittmann,
Garnier, 2015, p. 572). Des analyses ont montré,
à plusieurs reprises, la présence de traces de
produits laitiers, mais aussi de vin, de miel, etc.,
et ce, dans un même vase (Jaeggi, Wittmann,
Garnier, 2015). Or ces ingrédients entrent dans
de nombreuses recettes médicinales. Les analyses
ne permettent donc pas de trancher sur la quetion
de la fontion de ces objets. Fontion sûrement
multiple puisque Caelius Aurelianus (médecin
du ve siècle) évoque, dans un traité de médecine,
l’utilisation de ces « biberons » pour adminitrer
une boisson à un malade (Jaeggi, Wittmann,
Garnier, 2015, p. 572). Comme l’a souligné Céline
Dubois (Dubois, 2012, p. 337), le bombylios, utilisé
pour donner à boire au malade, dans la civilisation
grecque, et décrit, dans le corpus hippocratique
(Hippocrate, Maladies, III, 16), comme un vase
à goulot étroit, pourrait bien correpondre aussi
à un biberon. Quoi qu’il en soit, l’utilisation
de biberon en verre se prolongerait au-delà
de l’époque antique puisqu’un traité de gynécologie
du xiiie siècle, Les Infortunes de Dinah, conseille
de faire boire l’enfant sevré dans un récipient
de verre en forme de téton que l’on appelle
nad (Barkai, 1991, p. 157)².
ARCHÉOPAGES 43
dépressions, ou à onguents et dont la typologie
lutue selon les siècles [ill. 3].
Des quatre tombes de médecins identiiées
découvertes en Gaule romaine (Musée du Puy ;
Musée Carnavalet, Paris ; Musée d’Archéologie
Nationale, Saint-Germain-en-Laye), c’est celle de
Saint-Médard-des-Prés en Vendée qui nous éclaire
sur la part de ces lacons en verre dans la phère
médicale. En efet, cette tombe d’un oculite aurait
livré pas moins de 80 vases en verre dont 28 sont
encore conservés au musée de Fontenay-le-Comte
(Santrot, Corson, 2012). Outre des pots globulaires
ou carrés, des bouteilles hexagonales, carrées ou
cylindriques, 33 balsamaires ont été recensés.
Des analyses anciennes et récentes ont permis de
démontrer la présence, dans certains de ces
contenants, de cires, d’huiles ou d’onguents.
Toute cette gamme de lacons était donc utilisée
par les médecins (medici) mais aussi par d’autres
corps de métiers plus ou moins rigoureux, à la fois
guérisseurs, herborites, apothicaires, droguites
(pharmacopola), fabricants d’onguents, débitants
de poudres et parfumeurs (seplasiarii). Car, outre
les vertus médicinales des plantes, Pline, dans
son Hitoire Naturelle, souligne leurs propriétés
magiques. Ainsi, ces lacons pouvaient aussi
contenir des mélanges plus magiques que curatifs
comme des philtres ou encore des onguents
apotropaïques.
Parallèlement, parmi les récipients appartenant
au domaine de la toilette, il faut évoquer aussi
l’agitateur, bâtonnet lisse ou torsadé qui servait
à étaler, écraser et mélanger les produits
cosmétiques. Plus exceptionnels sont les trigiles
miniatures en verre. En 2003, à Nîmes (Gard), une
tombe interprétée comme celle d’un guérisseur
(Manniez, 2005) datée de la in du ier siècle de
notre ère a livré des vases en céramique et en verre,
des coquillages et des petits objets en os, bronze,
verre et crital de roche. Parmi l’intrumentum, se
trouvaient deux petits trigiles en verre bleu clair
(L. : 84 et 85,5 mm). Par leur taille, ces objets
pouvaient servir à appliquer ou à retirer en
douceur les préparations sur des parties lésées d’un
corps ou à ditiller des gouttes dans l’oreille comme
le recommande Celse, médecin du ier siècle (Traité
de médecine, VI, 7, 1). Cette dernière utilisation
expliquerait l’extrémité bouletée qui difère de
ceux en métal, sans doute detinée à ne pas blesser
le conduit de l’oreille. Ces trigiles étaient
accompagnés de talismans, amulette en crital
de roche, porcelaine provenant de la mer Rouge
et d’une ibule à tête de Méduse dont la valeur
apotropaïque permettait de se protéger contre
les mauvais sorts, voire de la maladie.
Atuellement, le seul objet en verre que l’on
relie, sans équivoque, au monde de la médecine,
et la ventouse (cucurbita), ce récipient en forme
de cloche detiné à soigner en induisant une
« révulsion » par efet de succion sur la peau.
Pour ce faire, on chaufait la ventouse puis on
l’appliquait sur la zone à traiter, de manière à ce
50
. Si matula, à l’époque
antique, signiie le pot
de chambre, le récipient
en verre sert à recueillir
l’urine des patients alités
(urinal).
archéologiques en contexte médiéval demeurent
encore très exceptionnelles pour la phère
médicale (léproserie, apothicairerie…).
En ce qui concerne l’héritage antique, si
la ventouse en verre perdure, c’et désormais la
matula³ qui devient l’emblème du médecin.
Pour ce récipient detiné à l’examen des urines,
les formes sont variées si l’on en juge par les
diférentes représentations sur enluminure.
Dans la typologie atuelle des verres du nord de
la France des xive et xve siècles, il prend la forme
d’un vase ovoïde à fond bombé à large ouverture,
forme proche des vases à pharmacie et des
ballons de ditillerie. Ce sont alors les proportions
et l’extrême inesse de la paroi et donc une
tranparence parfaite qui permettent de le
caratériser (Foy, Sennequier, 1989, p. 329-330).
Ce type de récipient ne se limite pourtant pas
à la fontion d’urinal si l’on en croit les médecins
Avicenne ou Jacques Depars qui suggèrent
d’utiliser un vase comme l’urinal pour manipuler
divers ingrédients de recettes médicinales
(Jacquart, 1998).
Quant à la typologie des verres médiévaux
atuellement proposée par les archéologues,
comparée à celle des verres antiques, on contate
une nette rédution dans la diversité du laconnage
[ill. 4]. De même, on voit diparaître de la
terminologie l’unguentarium et le balsamarius.
Ces phénomènes semblent retranscrire un
ralentissement des parfums et autres onguents
avec l’expansion du chritianisme. Toutefois,
parfum et guérison continuent à être associés,
mais dans le cadre de la religion chrétienne.
Une des saintes huiles (oleum inirmorum) servait
ainsi à l’ontion des inirmes et des malades.
Le lien entre Église et médecine et aussi illutré
par un nouveau récipient : l’ampoule de pèlerinage
permettant aux pèlerins, depuis la in de
l’Antiquité, de tranporter huiles saintes, eaux
bénites ou encore miraculeuses. Atuellement,
les rares exemplaires en verre, en France,
concernent uniquement le littoral méditerranéen
et datent au plus tard du ve siècle (Foy, 2010).
Pour le Moyen Âge, ce sont essentiellement
des gourdes aplaties en céramique ou en métal
qui nous sont parvenues. Toutefois, il et à noter
que des ampoules de pèlerinage, en verre, non
datées (médiévales ou modernes) du Musée des
antiquités de Rouen ont été étudiées par Jorge
Barrera (Barrera, 1990). De même, un atelier
de petits lacons en verre utilisés pour recueillir
le myron de la tombe de saint Démétrios en verre
du xve siècle a été fouillé à hessalonique en
Grèce (Loverdou-Tsigarida, 2003, p. 245).
Enin, les verreries aux fontions liturgiques,
burettes, bouteilles à long col décorées à l’émail
de Syrie (musée du Louvre) ou encore iolesreliquaires telle celle de sainte Catherine (Palerme,
dans le trésor de la chapelle palatine, palais des
Normands), datées des xiie-xiiie siècle, ont pu
être aussi utilisées dans un cadre de rituels
religieux aux ins thérapeutiques.
Si les petits lacons sont moins diversiiés
qu’à l’époque antique, le verre et tout de même
présent dans les scènes illutrant les médecins
et les apothicaires (par exemple, un vitrail de la vie
de Saint Nicolas, cathédrale de Chartres ; dessin
d’une apothicairerie dans le traité de chirurgie
de Roger de Salerne). Cette iconographie met
en avant, désormais, les grandes ioles (bouteille
au long col étroit), un verre probablement doseur
et les bocaux. Si on compare la typologie du verre
médiéval dometique avec cette iconographie
médicale, certaines formes sont très similaires,
ce qui nuancerait l’hypothèse de récipients
en verre à fontion uniquement médicinale pour
le Moyen Âge.
Deux objets, enin, inconnus des artefats
antiques, illutrent deux des innovations de la
médecine médiévale : les débuts de l’optique et la
ditillation. Si les problèmes de vue furent évoqués
dans l’Antiquité par Aritote dans le problemata,
en particulier la myopie et la presbytie, l’invention
des lunettes fut bien plus longue à venir. Les
premières bésicles apparaissent dans le milieu
monatique, au xiiie siècle, ain que les moines
puissent voir de près et recopier les manuscrits
sacrés.
La ditillation, invention arabe du viiie siècle,
et introduite en Occident, avec l’alchimie au
xiie siècle. Elle nécessite l’utilisation d’un alambic
si cette ditillation se fait par élévation des vapeurs.
Cet appareil et décrit dans des textes alchimiques
mais aussi des traités médiévaux de médecine.
Il sert surtout à la fabrication de l’eau de rose et de
l’alcool utilisés majoritairement par les médecins
et les apothicaires. De nombreuses fouilles dans
des contextes dometiques datés du xiie au
xviie siècle ont livré ce type d’objets (noyaux de
découvertes en Alsace, Franche-Comté et
Angleterre) dont les modèles en verre les plus
anciens datent de la in du xive siècle (homas,
2009). L’archéologie montre donc que ces objets
sont plutôt à associer à une ditillation dans
un contexte familial, dans des milieux plutôt
privilégiés, riches et cultivés. Si son usage médical
(homas, 2009) n’et pas assuré, il ne peut être
écarté pour ceux ayant accès aux écrits et donc
à la difusion des recettes d’apothicaire.
Au terme de cette présentation, une typologie
du verre exclusivement voué à la phère médicale
s’avère impossible. À l’époque antique, ce fait
s’explique par une discipline aux limites loues,
où s’entremêlent cosmétologie, croyance, magie,
religion et médecine. Aussi de nombreux
récipients sont-ils utilisés inditintement dans
diférents domaines. Là, seul le contexte, les
associations d’objets et les analyses chimiques
peuvent nous éclairer quant à leur lien avec
le monde de la médecine. À l’époque médiévale,
la diiculté d’identiication persite. La découverte
d’objets voués uniquement au monde médical
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DOSSIER
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ARCHÉOPAGES 43
et encore peu illutrée par l’archéologie qui
traite essentiellement de lot de verres issus de
contextes dometiques et funéraires. C’et
seulement à partir du xive siècle (mais surtout
au xve et xvie siècle) que se rencontrent des verres
de médecine et de pharmacie (urinaux, bocaux,
ballon de chimie, alambics, lunettes…)
(Foy, Sennequier, 1989).
Malgré ces diicultés, la mise au jour de
certains objets d’exception, les textes,
l’iconographie et les analyses chimiques
permettent de percevoir le lien entre verre et
médecine. Cette perception devrait s’éclairer,
dans l’avenir, avec l’évolution des analyses
chimiques. Elle permettra alors de progresser
dans la connaissance de la médecine à l’intar
des travaux de Jean-Pierre Brun et Nicolas Garnier
sur les parfums dans l’Antiquité.